De manière inexplicable, cette vidéo est devenue un phénomène sur le web. Elle montre deux mains en train de peler des légumes sur une planche à découper, posée sur un lit. En fond, un ordinateur ouvert sur un jeu en ligne et un dressing sont visibles. Intitulée « Ratatouille in my room ! », cette vidéo TikTok, bien que dénuée d’intérêt cinématographique ou gastronomique, illustre parfaitement la multifonctionnalité actuelle de nos chambres à coucher.

La chambre à coucher évolue continuellement dans ses fonctions et diminue en taille par rapport aux constructions d’après-guerre, perdant en moyenne 3 mètres carrés dans les maisons et 1 mètre carré dans les appartements. Néanmoins, le sommeil, souvent insuffisant, reste une préoccupation majeure, et le lit est choisi comme l’endroit préféré par la moitié des jeunes Français de 18 à 24 ans, selon un sondage Ifop de 2021. ELLE propose cinq stratégies pour redéfinir la chambre, cet espace à la fois exposé sur les réseaux sociaux et refuge ultime.

Redefinir l’espace personnel

© Meredith Jenks

Entre selfies dès le réveil et vidéos tournées au lit, le concept d’intimité, autrefois strictement privé et né dans les demeures bourgeoises du XVIIIe siècle, semble s’effacer sous l’effet des réseaux sociaux et de l’exposition de soi. Même les pancartes « ne pas déranger » des chambres d’adolescents disparaissent, ouvrant cet espace à un univers virtuel, malgré une jeunesse qui se sent de plus en plus isolée. « Nous assistons à une fusion du privé et du public, une première historique. Aujourd’hui, on vit dans son lit, alors qu’au XIXe siècle on le quittait rapidement pour n’y revenir qu’au coucher. Cette dualité est ce que j’ai voulu explorer dans cette exposition », explique Christine Macel, commissaire générale de l’exposition « L’Intime, de la chambre aux réseaux sociaux » au musée des Arts décoratifs à Paris, jusqu’au 30 mars.

« La chambre moderne émerge au XVIIIe siècle en Occident, remplaçant la chambre unique où dormait toute la famille et la chambre d’apparat aristocratique. Dans les maisons bourgeoises, elle devient une chambre maritale, la femme perdant son espace propre tandis que l’homme acquiert un bureau pour s’isoler. » Près d’un siècle après la publication de « Une chambre à soi » par l’écrivaine américaine Virginia Woolf, cet essai féministe reste d’actualité, le concept de « lieu à soi » prenant aujourd’hui des formes telles que « women cave » ou « mum cave », des espaces d’intimité dédiés non seulement à la création, mais aussi au bien-être et à la santé mentale. « Ce besoin d’un espace personnel transcende les genres. Aujourd’hui, tout le monde recherche cet espace, qu’il soit physique ou mental, mais il est surtout vital pour le développement personnel », poursuit Christine Macel.

Repenser la suite parentale

Hôtel Hana.© N Goldberg

La suite parentale, à la fois héritage bourgeois omniprésent et argument de vente majeur pour les agents immobiliers, a été popularisée par l’Église catholique (pour des raisons de procréation) et par la bourgeoisie au XIXe siècle, transformant le lit king size en norme de la conjugalité. Le lit partagé, souvent représenté dans la culture populaire comme un symbole de couple qui fonctionne, devient un précurseur de la rupture lorsqu’on choisit de dormir séparément.

« La disposition des logements reflète ces stéréotypes », note Christine Macel. « Quand Woolf parle d’un ‘lieu à soi’, elle montre combien l’espace peut influencer la manière dont une société fonctionne. Or, le modèle bourgeois du lit conjugal est aujourd’hui largement remis en question. » En France, un couple sur dix choisirait de dormir séparément, et aux États-Unis, où le terme « sleep divorce » est utilisé, ils sont encore plus nombreux. Face à un besoin de protéger son sommeil et une valorisation de la solitude dans un monde hyperconnecté, ceux qui manquent d’espace optent pour un modèle de vie inspiré des Anglo-Saxons : lits séparés et couettes individuelles.

Opter pour des draps en soie

Face à une publicité agressive sur les réseaux sociaux, changer votre vieux linge de lit en coton pour des draps en soie pourrait sembler révolutionnaire, promettant d’améliorer l’acné, les cheveux abîmés ou les petites rides. Alors que l’idéal de la néo-carriériste insomniaque et matinale perd du terrain face à celui qui maîtrise l’art de la sieste, le monde du linge de lit devient un objet de désir. « Aujourd’hui, le linge de lit suit les tendances de la mode, avec des mélanges de matières, des imprimés et des collections saisonnières », observe Sophie Debono, acheteuse Maison au Bon Marché Rive Gauche. Des collections capsules comme celle de Jacquemus avec la marque Tekla, ou l’émergence de nouvelles marques comme Bonsoirs, La Serviette Paris ou Dusen Dusen, prouvent cette tendance. À l’avenir, la durabilité sera clé, avec un focus sur des matières responsables comme le chanvre, une fibre textile thermorégulatrice, disponible chez des marques telles que Greige ou Couleur Chanvre, qui choisit en plus des teintures écologiques.

Trouver l’éclairage idéal pour la nuit

La lumière nocturne devient une obsession dans l’hôtellerie de luxe. Lors du service du soir, qui inclut le changement des serviettes et la préparation du lit, ces établissements proposent un « scénario lumineux » conçu pour favoriser le sommeil. « Cet aspect a longtemps été négligé », explique Akari-Lisa Ishii, fondatrice de l’agence de design I.C.O.N., qui a travaillé sur l’ambiance lumineuse de plusieurs musées et lieux prestigieux entre Paris et Tokyo. Que recommande-t-elle ? « Pour une chambre de 12 mètres carrés, je préconise trois sources lumineuses : une lampe de chevet, un éclairage indirect et un luminaire fonctionnel pour éclairer un placard ou une commode. L’élément crucial est la tonalité du blanc. Durant la journée, une lumière blanche et froide, semblable à celle du soleil, stimule le cerveau – au-dessus de 3 500 kelvins. Le soir, il faut graduellement passer à une lumière chaude et orangée, autour de 2 700 kelvins, en utilisant une lampe de chevet équipée d’une ampoule de ce type. »

Explorer le nouveau feng shui

Hôtel Hana. © N Goldberg

Depuis des millénaires, le feng shui propose des règles pour harmoniser l’énergie de nos intérieurs. Comment ces enseignements peuvent-ils s’adapter à l’augmentation des prix au mètre carré et aux normes architecturales restrictives ? Pour l’Hôtel Hana à Paris, Nicolas Saltiel a fait appel à Laura Gonzalez pour la décoration et à Hélène Weber, maître feng shui, pour l’harmonie des espaces. « Je le fais pour chaque hôtel », précise le directeur de la collection d’hôtels Chapitre Six. Les conseils d’Hélène ? « Les chambres sont de plus en plus petites, mais cela ne pose pas vraiment de problème pour le feng shui. La tête de lit doit être adossée à une montagne, idéalement un mur, mais cela peut aussi être un muret ou un paravent. »

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le feng shui accepte l’hybridation. « Si votre chambre sert uniquement à dormir, c’est une chambre yin : vous pouvez y ajouter tous les éléments décoratifs que vous souhaitez, en veillant à ne rien placer au-dessus de vos têtes. Si c’est une chambre où vous travaillez également, il est conseillé de la désencombrer, de choisir un bureau permettant de tout dissimuler en fin de journée, et surtout de retirer les documents importants de la chambre pour la nuit. »